Côte-d’Or : l’incroyable et croquignolesque histoire de la carrière de Prenois

Publié le 26 avril 2021 par Didier Hugue

La carrière de Prenois (Côte-d’Or) s’étend sur 15 hectares, dont 12 exploitables pour l’extraction de roches calcaires appelées à devenir des agrégats routiers et de drainage. © Traces Ecrites

Un vrai Vaudeville, si ce n’est l’absence de légèreté puisqu’ici on charrie des matériaux de chantier à la tonne. Francis Pennequin, dirigeant de l’entreprise de travaux publics qui porte son nom, raconte avec son inimitable verve le chemin de croix vécu pour pouvoir exploiter une carrière d’agrégats, sise entre un aérodrome et un circuit automobile. C’était compter sans l’esprit critique et le sens de la contestation de quelques opposants des communes alentours. Les démarches entamées en 2005 aboutissent à l’ouverture définitive de la carrière courant 2019.

Il fait beau au petit matin de cette fin mars. Les gelées printanières n’ont pas encore fait leur apparition et le soleil réchauffe vraiment. Nous déambulons avec Francis Pennequin sur le site de la carrière de roche calcaire de Prenois (Côte-d’Or) qu’il exploite, « enfin tranquille », depuis juillet 2019. Mais qui fit s’échauffer les esprits et multiplier les recours durant plus d’une décennie.

Tout commence un peu plus de deux ans et demi avant. Le 2 décembre 2005, la société Calcaire Développement, propriétaire du terrain, lance un appel à projets pour l’ouverture d’une carrière de roche calcaire sur le territoire de la commune de Prenois, connue des amateurs de courses automobiles pour son circuit. Plusieurs entreprises répondent, parmi lesquelles Pennequin Travaux Publics – Démolitions. Et cette dernière est retenue le 1er mars 2006 pour un contrat de fortage (*).

L’extraction se fait en trois paliers de 15 mètres de profondeur pour une durée de 30 ans et en six phases de cinq années. © Traces Ecrites

Le projet est présenté par Francis Pennequin au maire de Prenois de l’époque, qui lui explique qu’une campagne géologique doit valider la qualité du gisement. Près de deux années sont ensuite nécessaires pour constituer le dossier, demander l’autorisation d’exploiter et voir se dérouler l’enquête publique (du 16 mai au 17 juin 2008). C’est à ce moment précis que tout dérape en une saga croquiniolesque de contestations et récriminations de toutes sortes.

Car le nouveau maire de Prenois – il change régulièrement à chaque élection –, ainsi que son voisin de Darois (Pascal Minard), commune connue pour son aérodrome et l’emblématique avionneur Robin, s’opposent farouchement au projet, avec le soutien, chasse aux voix oblige en pleines élections cantonales, de l’ancien député Bernard Depierre. La principale raison évoquée : l’incompatibilité de cette activité avec le fonctionnement de l’aérodrome tout proche. Face à cette situation, le préfet stoppe l’enquête et réunit un soir tous les protagonistes.

« A BON, IL Y A EU UN TIR DE MINES ! »

Le volume annuel est limité à 260.000 tonnes, pouvant parfois aller jusqu’à 360.000 tonnes. © Traces Ecrites

Il faudrait avoir pu enregistrer Francis Pennequin pour goûter l’ambiance précise de ce moment lorsqu’il est mis en cause sur sa probité par un élu du cru. Le dirigeant, connu pour sa truculence comme sa gouaille, se campe alors sur ses ergots, parle d’une voix posée mais sourde et annonce que si l’impudent morigénateur ose encore la moindre remarque, il porte plainte pour diffamation. D’un Vaudeville, on vire à la Comedia del Arte. Puis tout le monde parvient à se calmer dans un climat toutefois délétère, raconte t-il.

Une carrière d’agrégats pour la viabilité et le drainage

Aux couleurs de son entreprise, Francis Pennequin explique le fonctionnement des automates pour gérer les commandes. © Traces Ecrites

L’exploitation de la carrière de prenois porte sur 12 des 15 hectares du site pour une durée de 30 ans, en six phases de cinq années, sachant que la dernière concerne la remise en état. Pas moins de 1,25 million d’€ ont déjà été dépensés en aménagement : clôture, chemin de desserte agricole, merlons anti-bruit, bourrés de biodiversité, végétalisation et tourne à gauche
L’extraction des matériaux et la production des agrégats en dix granulométries différentes se fait ici en trois paliers de 15 mètres de profondeur, à raison d’un volume annuel de 260.000 tonnes, pouvant parfois aller jusqu’à 360.000 tonnes. La carrière répond pour moitié aux besoins de l’entreprise Pennequin, pour l’autre à la revente.
Trois personnes travaillent sur place, disposant d’une pelleteuse, de deux chargeuses, d’un concasseur et de deux cribles, soit près de 2 millions d’€ de matériel. Le process est très automatisé. Les camions, déjà enregistrés, s’arrêtent à une borne pour passer leur commande en tonnes. On les charge et ils ressortent ensuite en passant dans une aire de lavage des roues pour prendre un ticket qui valide l’opération et déclenche la facturation. Il est aussi très encadré pour les tirs de mines réalisés par une entreprise spécialisée avec toute la sécurité requise.

Reste que le représentant de l’Etat ne veut plus signer l’arrêté d’autorisation. Convoqué quelque temps après à l’hôtel de la préfecture de Dijon pour se voir signifier ce refus, Francis Pennequin, fine mouche, se fait accompagner d’un expert en aéronautique qui explique que la carrière n’est pas située dans le cône d’envol de l’aérodrome, qu’aucune poussière ne pourra gêner les décollages et les atterrissages – le matériau extrait n’étant pas de la pouzzolane (roche volcanique) volatile–, et que les oiseaux n’iront pas bloquer les tuyères d’avions à réaction, ces derniers n’étant pas habilités sur place.

Une heure et demie plus tard, le représentant de la puissance publique, ébranlé dans sa conviction première, propose au dirigeant de démontrer la compatibilité aéronautique du site et donne rendez-vous à tout son petit monde à la carrière de Montrond (Jura) de nature géologique identique.
Un tir de mines a lieu sans que les participants s’en aperçoivent. « A bon, il y a eu un tir de mines ? », s’interroge même le préfet qui finalement accorde, par arrêté, le 23 juillet 2010, l’autorisation d’exploiter avec une suspension jusqu’à la mise en service de la fin du contournement routier de Dijon (la LINO).

Les camions de chantier ont l’obligation de laver leurs roues avant de quitter le site. © Traces Ecrites

Bref, l’entreprise Pennequin n’œuvre enfin sur sa carrière qu’à partir de janvier 2015 et près de trois années durant, avant – nouvelle déconvenue –, que le Conseil d’Etat n’annule l’arrêté au motif formel que le préfet aurait dû diligenter une nouvelle enquête d’utilité publique. Car des recours, il y en a eu à la pelle. Mais c’était mal connaître Françis Pennequin qui ne lâche jamais rien et qui bataile comme un beau diable avec succès, acquittant toutefois une belle ardoise en frais de procès. Une nouvelle enquête (mars et avril 2019) a lieu et donne un avis favorable permettant d’autoriser de nouveau l’exploitation à la mi-juillet 2019.

© Traces Ecrites

Depuis lors, plus rien, le calme plat, aucune réaction, assure Francis Pennequin. Même pas celle de Pascal Minard, le maire de Darois, vent debout depuis l’origine contre cette carrière. Contacté par nos soins, avec cinq jours pour donner son point de vue, l’édile n’a pas donné suite. Quel bilan alors tirer ? Laissons le mot de la fin, en forme de clin d’œil, au chef d’entreprise. « J’ai même fait changer les klaxons de recul de mes engins pour qu’ils soient moins bruyants, sachant que la première habitation est à plus d’un kilomètre, mais vous savez avec les vents tournants… », indique t-il avec malice.

(*) Contrat autorisant l’exploitation d’une carrière entre un propriétaire foncier qui concède une superficie déterminée de terrain à des fins d’extraction des matériaux contenus dans le sous-sol.

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